Maurice Maignen (1812-1886)

Autre participant aux tout débuts de la « Congrégations des Frères ou Religieux de Saint Vincent de Paul », celui qui devait dire :

J’ai pour l’ouvrier, non seulement de l’affection, de la sympathie et du dévouement, mais même une religion.

Religion qui non seulement l’amena à se consacrer lui-même au Seigneur, mais à fonder… 

  • en 1855 : « L’Association des Jeunes Ouvriers » ;…
  • en 1865 : « Le Cercle des Jeunes Ouvrières »[1]… ;
  • en 1871 : « L’Oeuvre de Cercles Catholiques d’Ouvriers » ; où s’illustrèrent, parmi tant d’autres, Albert de Mun et René de La Tour du Pin.

Génération qui connut trois révolutions : 1830-1848-1871. Révolutions dont Maurice Maignen avait bien compris les causes principales : lutte des classes, esprit de la Révolution. En conséquence, et au lieu de rester passif à tout attendre de l’extérieur, de la Hiérarchie Ecclésiastique ou de l’Etat Providence, il prit l’initiative de mobiliser une élite.

Au lendemain de 70 et 71 il alla donc voir La Tour du Pin et lui dit : 

Ce n’est pas votre argent que je viens vous demander. C’est votre personne ! C’est celle de vos amis. Ma pensée est de réconcilier le riche avec le pauvre, le patron avec l’ouvrier, la noblesse avec le peuple. La guerre actuelle est une guerre de classe ; il me faut des hommes comme vous.

C’est donc sur le conseil de la Tour du Pin qu’il se rendit auprès d’Albert de Mun, qui, dans son livre « Ma vocation sociale », nous laissé le récit de l’entrevue[2].

Maignen se présenta, et du premier regard il prit possession de mon âme (…). Vêtu d’un banal costume noir, où rien ne révélait le congréganiste (…) mais dans la physionomie, qui décelait une chaleur contenue, on devinait à la fois un cœur de poète et une imagination d’artiste…

Presque sans préambule la conversation s’engagea… mais bientôt Maurice Maignen parla seul (…). Il ne demandait pas l’aumône, il enseignait l’amour et il ordonnait le dévouement (…) Sa voix vibrait d’un accent dominateur. (Puis) soudain il s’apaisa (…) s’excusa de son animation, se retira en m’ayant seulement prié de lui rendre sa visite, et de venir à mon tour présider la prochaine assemblée des membres du Cercle. Je le promis. AINSI SE DECIDA MON AVENIR »!

C’est le 10 décembre1871 (précise de Mun) à 8 heures du soir, pendant que la neige tombait, que je me rendis au Cercle. Maignen m’attendait sur le seuil. 

Succès de cette première rencontre, à un point tel que le 23 décembre de Mun, La Tour du Pin et quelques autres se réunissent à nouveau et s’engagent à établir vingt cercles dans Paris !

Dès lors, la vie de Maignen va friser l’impossible.

Il doit être partout, et faire face à tout.

C’est à lui de choisir les directeurs des nouveaux cercles.

On lui adresse les candidats ; et il doit les former, les initier aux mouvements de ces œuvres. C’est lui qui est l’âme des réunions, des directeurs, des présidents de Comité et même des aumôniers. Et s’il ne consent pas à présider ces assemblées quand elles prennent une certaine importance et risquent d’avoir quelque éclat, c’est à sa prière que de Mun les présidera (…) En même temps, il écrit pour le journal « Le Clocher », un long article de critique d’art sur le Salon de 1879. Il dirige et rédige, presque seul, un hebdomadaire : « Le Moniteur de l’Ouvrier ». Surtout sa correspondance avec la Tour du Pin et de Mun lui demandait un énorme travail. Il était souvent obligé de faire des réponses longues et motivées à leurs demandes pressantes de renseignements[3].

Soit, en exemple, cette lettre d’Albert de Mun : 

Pour moi qui ai besoin de me façonner à ces questions (…) je vous promets de n’épargner ni peine, ni travail. Mais aidez-moi, et pour conclure, je vous supplie de me faire, le plus tôt possible, un travail spécial sur la matière : indiquez les documents qui sont, selon vous, à consulter. Exposez vos vues, vos idées; dégagez les principes ; montrez les applications. Je suis un ouvrier de bonne volonté, mais j’ai tout à apprendre.

Et, après avoir reçu la réponse de Maignen, voici les remerciements de de Mun :

Mon bon et cher M. Maignen, votre lettre m’a ravi et je vous remercie de tout mon cœur. Il me semble que je vous comprends bien et que je sens se rallumer dans mes veines le feu que vous y avez versé… Souvenez-vous que vous avez affaire : à un homme qui ne sait pas ;
à un homme qui a très peu de temps, et à qui cependant la bonne volonté de Dieu a fait une obligation de paraître savoir et avoir étudié. Mâchez-moi la besogne ; réduisez-moi la nourriture en pilules substantielles d’une absorption rapide…

Et il n’est pas qu’Albert de Mun pour recourir ainsi à Maignen. Voici ce que Louis Milcent lui écrivait aussi : 

Dans ma détresse, je viens crier “au secours !”. Afin que vous me disiez comment s’y prendre pour constituer cette commission d’arts et métiers qui devrait être organisée. Qui, mieux que vous, pourra la mettre sur pied, la diriger, la soutenir ? Au secours ! Maignen, au secours !!

Et de La Tour du Pin : 

Mon bon Maître, je vous écris avec une joie profonde, en recevant votre lettre pleine de bonté. Pardonnez-moi, j’avais craint pour l’effort que nous avons fait l’an dernier pour réveiller l’esprit de progrès dans nos rangs. Mais me voici plus que rassuré joyeux et confiant comme jamais tant… Votre élève, votre serviteur, votre ami qui vous embrasse avec tendre respect. La Tour du Pin.

Leçons d’une unité, d’une diversité, d’une complémentarité de formules incomparables.

Exemple d’un même esprit animant des êtres aussi contrastés que ces Frères de Saint Vincent de Paul, Jean-Léon Le Prévost, Clément Myionnet, Maurice Maignen (etc…) apôtres des pauvres, des orphelins et des ouvriers, unis en fraternel compagnonnage avec des patriciens, René de La Tour du Pin, Albert de Mun, etc…


[1]… Où il recevra entre autres visiteurs de marque : 

  1. Saint Leonardo Murialdo (mars 1866) qui le considérait « comme une personnalité d’une distinction spirituelle étonnante et d’une rare expérience pastorale des jeunes ouvriers et jeunes » ; 
  2. Saint Jean Bosco, qui logea dans les locaux du Cercle, Boulevard Montparnasse (le 23 mai 1883).

      Cf. « La Salette du Haut Vaugirard » P.P. André Flachot p. 91 – Edition : « Fondation Le Prévost » – 27 rue de Dantzig – Paris (1985).

[2]Cf. Albert de Mun « Ma Vocation sociale » – Edit. Lethielleux. Passages cités, extraits de la brochure : « Un précurseur : Maurice Maignen, des Frères de Saint Vincent de Paul », par le RP Alexandre Garnier – Œuvre de la Jeunesse ouvrière – 13 rue Victor Duchamp – Saint Etienne (1942).

[3]Cf idem supra :d’Alexandre Garnier– opus cit. p. 27-28-29.

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