Armand de Melun (1807-1877)

C’est Madame Swetchine qui conseilla au jeune Armand de Melun… « d’aller voir la Sœur Rosalie ». Conseil qui, certes, l’étonna, mais qu’il suivit pourtant sans plus attendre. 

Sœur Rosalie, confia-t-il plus tard, me reçut aussi bien que si j’avais été un pauvre. 

Elle le regarda de ses bons yeux et, sans plus tarder, lui dit tranquillement : 

Voici des bons de pain et de viande, avec une liste d’adresses de pauvres gens qui ont faim. Vous reviendrez me dire comment cela s’est passé. 

Et cela se passa de telle sorte qu’Armand de Melun y prit conscience d’une vocation qu’il allait suivre jusqu’à sa mort. Car il ne sera jamais un théoricien, un doctrinaire. Et ce sont ses contacts quotidiens avec les malheureux, qui lui servirent de maître ès-sciences politiques. Il y découvrira certes la gravité de la question sociale, mais se préoccupera moins de lui donner une réponse générale et doctrinale que de lui trouver des solutions fragmentaires concrètes[

Il sera partout où il y a des brèches à réparer, des institutions charitables à créer, des âmes en détresse à encourager, des pauvres à soutenir, des malheureux à aider[1].

“Notre siècle, écrit Melun, succède à une époque qui a détruit toutes les institutions politiques et sociales. La Révolution Française, en frappant à la fois l’aristocratie, le clergé et les corporations, en se montrant pleine de défiance contre l’association, a fait disparaître les forces capables de fonder et de maintenir les institutions génerales”.

D’où le zèle et le nombre effarant des fondations et initiatives d’Armand de Melun. D’où l’admiration enthousiaste que lui porte Madame Swetchine, qui lui écrit : 

Cumulez ! Cumulez le plus d’œuvres possibles. Ne repoussez jamais rien ! Vous suffirez à tout !

Et le palmarès, en effet, en deviendra invraisemblable. Fondateur, directeur, « épauleur », « relanceur », participant zélé, il sera partout. 

1838 Fondation de l’Oeuvre de Miséricorde (en faveur des pauvres cachés).

Colonie agricole de Mesnil Saint Firmin (Oise).

1839 Soutien des « Amis de l’Enfance ».

1840 Société Saint François Xavier.

1843 Oeuvre des Apprentis… (et des « Jeunes Ouvrières », en 1851 !).

1844 Oeuvres des Familles.

1845 « Annales de la Charité ».

1846 « Société d’Economie Charitable ».

1847 (à Bruxelles) « Société Internationale de la Charité ».

1850 Initiatives pour la Loi du 22 avril 1850 (logements insalubres). 

Initiatives pour la Loi du 18 juin 1850 (caisses de retraite). 

Initiatives pour la Loi du 15 juillet 1850 (sociétés de secours mutuels).

Initiatives pour la Loi du 12 août 1850 (éducation et patronage des jeunes détenus).

1851 Initiatives pour la Loi du 12 janvier 1851 (assistance judiciaire).

Initiatives pour la Loi du 22 février 1851 (contrats d’apprentissage).

1851 Fondation des « Prêtres de Sainte Marie » (de Tinchebray), par le Père Duguey.

1852 Fondation des « Missionnaires de la Salette », par Mgr de Bruillard.

1855 Fondation des « Missionnaires du Sacré Cœur », d’Issoudun ; par J. Chevalier.

1855 Fondation de la « Compagnie du Saint Esprit et du Saint Cœur de Marie », par le Vénérable Libermann (juif converti).

1855 Fondation des « Prêtres de Notre Dame de Sion », par le Père Ratisbonne (juif converti, soucieux de la conversion de ses frères).

1856 – 1859 Fondation des « Missions Africaines », par Monseigneur de Marion-Brésillac et le Père Planque. 

1856 Fondation des « Prêtres du Saint Sacrement », par saint Pierre Julien Eymard.

1857 Fondation de « L’Œuvre de Saint François de Sales », par Mgr de Ségur.

1858 Restauration en France des « Rédemptoriste », par le Père Joseph Passerat.

1861 Création de la Société Catholique pour l’amélioration et l’encouragement des publications populaires.

1863 Fondation des « Sœurs de l’Immaculée Conception » (de Lourdes), par Mère Marie de Jésus.

1863 Présidence de la Société d’Economie Sociale (dont Le Play est le fondateur et le secrétaire général).

1864 Participation à la fondation de la section française de la « Croix-Rouge ».

1865 Présidence de la Société d’Economie Sociale (dont le Play est le fondateur et le secrétaire général).

1867 Melun s’occupe de la Société d’Education et d’Enseignement.

1870 C’est la guerre. Melun s’occupe de l’organisation des ambulances et de l’aumônerie militaire.

1871 C’est la Commune. Ce sont d’autres malheureux qu’il faut secourir. Formation, par Melun, de l’Oeuvre des Orphelins de la Commune.

1872 Melun est invité par Albert de Mun à entrer dans le Comité de l’ « Oeuvre des Cercles Catholiques d’Ouvriers ».

1874 Malgré ses 77 ans, Melun ne dédaigne pas de s’occuper des « Fourneaux Economiques » (fondés, en 1848, par Jean-Léon Le Prévost).

1877 Le 24 juin, mort d’Armand de Melun. Gentilhomme admirable qui, à tous les succès mondains, préféra l’exemple des Vincent de Paul. 

A l’exemple de saint Vincent de Paul ! 

Tant il est vrai qu’au XIXesiècle, bien peu de saints furent autant évoqués, aussi célébrés que l’ancien petit pâtre de Pouy, dans les Landes.

« Conférences de Saint Vincent de Paul », fondées par Ozanam. Nous venons de le rappeler. 

Mais plus encore cette gerbe proliférante d’éléments qui, sous l’impulsion des Jean-Léon Le Prévost, des Clément Myionnet, des Maurice Maignen innovèrent, si l’on peut dire, en fondant comme une chaîne de formules d’apostolat. Formules spécialisées en un sens. Mais complémentaires… pour mieux répondre à la diversité des cas et des besoins. Eléments d’un foyer central où jeunes et vieux, ignorants ou non, pouvaient s’unir sans se confondre. Et où des Albert de Mun, des La Tour du Pin ne croyaient pas déchoir en y venant prendre leçons, exemples, orientations, conseils et réconfort.

Jean-Léon le Prévost, Clément Myionnet, Maurice Maignen, René de La Tour du Pin, Albert de Mun.

Brochette de noms qui surprendra peut-être. 

Mais dont les liens peuvent être riches en leçons.

Exemples des multiples possibilités de combinaisons tendant à une même et bonne finalité. Initiatives qui, tout en restant fidèles à ce qui les spécifie, peuvent entretenir des liens de service et d’amitié entre des éléments parfaitement distincts et indépendants. Pour le plus grand profit de la même cause.

Leçons précieuses s’il en est.

Et qui vont nous être données, non seulement par la variété, la multiplicité des entreprises de Jean Léon Le Prévost, Clément Myionnet, Maurice Maignen, mais par les services que leur amitié, leurs expériences, à la fois populaires et apostoliques, apportèrent à deux de leurs amis René de La Tour du Pin et Albert de Mun.

Ce qui frappe dans l’œuvre et dans le zèle des Jean-Léon Prévost, Clément Myionnet, Maurice Maignen, n’est-ce pas, en effet, leur caractère de disciples de Saint Vincent de Paul ? Référence qui pourrait n’être qu’une plus ardente dévotion à un des plus grands saints de notre patrie. Or, il y plus que cela. Il y a, certes, une exemplaire fidélité à l’esprit de Saint Vincent, mais avec une analogue virtuosité à faire face, avec une stupéfiante disponibilité, en tout ce qui, au gré des circonstances et des besoins, peut exiger amélioration, nouveauté, complémentarité des formules. La suprême finalité ne tenant point tant à la lettre d’un appareil initialement conçue, mais à tout ce qui peut favoriser l’objet des intentions premières. Pour nombreux et divers qu’en paraissent les besoins. Le point fixe étant, avec l’amour de Dieu, une entière disponibilité sur le front du combat contre la misère des humbles.

D’où la seule variété des impacts, des services à rendre, des nouvelles formules à concevoir.


[1]Amédée d’Andigné, « Armand de Melun », in La France Catholiquenuméro 240, p. 50 (mai-juin 1982) ; plus encore son ouvrage : « Un apôtre de la charité : Armand de Melun », Nouvelles Editions Latines.

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