Frédéric Ozanam (1813-1853)

Gravure d’Antoine Maurin dit « Maurin l’aîné » (1793-1860) à partir d’un dessin de Louis Janmot (1814-1892).

Précurseur de la Doctrine Sociale de l’Eglise

Pour montrer la manière dont Frédéric Ozanam met en œuvre la Doctrine sociale de l’Eglise, avant même qu’elle ne soit formalisée, je voudrais aborder 3 facettes et de sa vie : 

  • C’est un laïc engagé et un promoteur de l’engagement des laïcs dans l’Eglise, à une époque où cet engagement ne va pas soi
  • C’est un serviteur des pauvres : toute son œuvre se caractérise par cet élan vers les pauvres 
  • C’est est un homme de réseau, qui fait échos à notre temps
  • Un laïc engagé

Cet engagement est d’abord intellectuel avant de basculer dans la pratique.

Quelques éléments de contexte historique, d’abord pour le situer : Frédéric Ozanam vit dans la première partie du XIXème siècle, c’est-à-dire dans une période d’effervescence politique, philosophique et scientifique, qui déstabilise l’Eglise. 

C’est le prolongement de la Révolution française et de ses penseurs : il se développe des courants idéologiques radicalement matérialistes et athées, n’hésitant pas à prôner la violence. Il y a d’ailleurs 2 révolutions en 1830 et 1848 et 5 régimes politiques durant les 40 ans de la vie de Frédéric Ozanam.

A l’opposé des théories révolutionnaires, une pensée libérale se développe : elle va contribuer au développement d’un capitalisme souvent indifférent aux questions sociales. En résumant à gros traits, l’époque est favorable à un antichristianisme décomplexé mais aussi à un christianisme de façade, très conservateur et peu social.

Dans ce contexte, Frédéric Ozanam un étudiant brillant, qui a à cœur défendre la foi chrétienne. En 1833, il a 20 ans et vit d’abord son engagement comme un engagement intellectuel. Quand certains de ses professeurs s’en prennent aux idées chrétiennes en amphi, il n’hésite pas prendre la parole à la fin des cours pour défendre la foi catholique. Il participe aussi avec ses amis à des conférences d’histoire, lieux de débats et de joutes oratoires entre étudiants. 

Il continuera à avoir cet engagement intellectuel tout au long de sa vie à travers une carrière de professeur, d’avocat, d’historien et de journaliste : il défend des idées d’équité sociale, de secours des plus faibles, de protection de la famille. 

Il vit aussi cet engagement intellectuel comme une forme d’évangélisation des laïcs, qu’il trouve mal formés : il sera notamment à l’origine des conférences de Carême de Notre Dame. Ces conférences qui selon lui, doivent diffuser la pensée de l’Eglise aux laïcs pour « contrer les doctrines antichrétiennes ».

Mais, Frédéric Ozanam va comprendre que cet engagement intellectuel est insuffisant. C’est lors d’un débat avec des étudiants opposés aux idées de l’Eglise qu’il a le déclic. Il le décrit lui-même à ses amis : 

« Lorsque nous nous efforcions de rappeler les merveilles du christianisme, ils nous disaient tous :

 « Vous avez raison, si vous parlez du passé ; le christianisme a fait autrefois des prodiges ; mais aujourd’hui, le christianisme est mort. Et, en effet, vous qui vous vantez d’être catholiques, que faites-vous ? Où sont les œuvres qui démontrent votre foi, et qui peuvent nous la faire respecter et admettre ? »

Ils avaient raison, ce reproche n’était que trop mérité. Ce fut alors que nous nous dîmes : Eh bien, à l’œuvre et que nos actes soient d’accord avec notre foi ! Mais que faire ? Que faire pour être vraiment catholiques ? Secourons notre prochain et mettons notre foi sous la protection de la charité. »

Et il va compléter son engagement intellectuel par un engagement dans l’action, une action sociale personnelle, concrète ici et maintenant. Il a compris qu’il ne suffit pas d’être un homme de valeur, mais qu’il faut chercher à devenir un homme de vertu.

« Nous n’avons pas 2 vies, l’une pour chercher la vérité, l’autre pour la pratiquer. » 

Il est peut être difficile de s’imaginer aujourd’hui que cet engagement personnel est non conventionnel, voire anticonformiste ! Mais dans l’Eglise de cette époque, une part importante des croyants considère que la pratique de la charité ne concerne que le clergé au sein de l’Eglise. Frédéric Ozanam est innovant en son temps comme l’a été Vincent de Paul deux siècles auparavant : Vincent de Paul avait ouvert les portes des églises et des cloîtres pour que les prêtres et les religieuses – les filles de la charité, le premier ordre de religieuses non cloitrées – puissent agir auprès des pauvres. Frédéric Ozanam duplique en quelque sorte ce modèle et invite les laïcs à aller concrètement au contact des pauvretés de leur temps.

L’engagement des laïcs est une proposition importante de la Doctrine sociale de l’Eglise : Les laïcs ne sont pas seulement des chrétiens au sein de l’Eglise mais sont appeler à agir en chrétiens, comme le dit la DSE, dans « toutes les réalités humaines séculières, personnelles et sociales, tous les milieux et les situations historiques, les structures et les institutions »dans lesquelles ils vivent.

  • L’Elan vers les pauvres : « Allons aux pauvres ! »

L’élan vers les pauvres, qui caractérise la pensée et l’œuvre de Frédéric Ozanam, résulte à la fois d’une conscience politique et sociale mais aussi d’une démarche de foi personnelle.

Paris au début du XIXème siècle est la ville que décrit Victor Hugo dans Les Misérables. Une ville bouillonnante et violente, avec des quartiers surpeuplés et insalubres, atteints de misère matérielle, mais aussi d’une misère morale et spirituelle. En 1831, une épidémie de choléra fait plus de 20 000 victimes En 1848, les indigents sont plus de 300 000 dans une ville d’à peine plus d’un million d’habitants. La pauvreté est donc omniprésente.

L’élan vers les pauvres de Frédéric Ozanam est directement lié à une conscience sociale. Il  observe son temps avec beaucoup d’acuité et prend conscience des mouvements sociaux et économiques qui bouleversent son temps :

« d’un côté la puissance de l’or, de l’autre la puissance du désespoir », « la question qui agite aujourd’hui le monde autour de nous […] est une question sociale ; c’est la lutte de ceux qui n’ont rien et de ceux qui ont trop ; c’est le choc violent de l’opulence et de la pauvreté qui fait trembler le sol sous nos pas. »

Peut-être pourrait-on penser que cette démarche sociale est une affaire politique et que c’est au gouvernement de la mettre en œuvre, pas aux individus. Frédéric Ozanam prône d’ailleurs des idées politiques favorables à la justice sociale et l’équité, base de la démocratie chrétienne. Il sera même candidat à un siège au parlement. Mais il a aussi conscience que la mise en œuvre politique de ces idées nécessitera beaucoup de temps et que l’élimination de la pauvreté relève d’avantage de l’utopie que du programme politique : 

« La justice a des limites ; la charité n’en connaît pas. 

La politique ne tient compte que de la justice. 

Notre devoir à nous, chrétiens, est (…) de faire (…) que l’égalité s’opère autant qu’elle est possible parmi les hommes ; (…) que la charité fasse ce que la justice seule ne saurait faire. »

Au-delà de cette analyse politique et de cet engagement social, il y a un aspect moins évident de la démarche de Frédéric Ozanam : c’est aussi une démarche personnelle de conversion, de foi : une démarche théologale. Elle fait toucher le Christ, comme l’exprime de manière très claire Frédéric Ozanam dans une lettre à son ami Louis Janmot :

« Et nous, mon cher ami, nous contenterons-nous de gémir sur la stérilité de la saison présente … Il semble qu’il faille voir pour aimer, et nous ne voyons Dieu que des yeux de la foi et notre foi est si faible! Mais les hommes, mais les pauvres, nous les voyons des yeux de la chair, ils sont là et nous pouvons mettre le doigt et la main dans leurs plaies, et les traces de la couronne d’épines sont visibles sur leur front ; ici l’incrédulité n’a plus de place possible, et nous devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec l’Apôtre : Tu es Dominus et Deus meus : « Vous êtes nos maîtres et nous serons vos serviteurs, vous êtes pour nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas, et ne sachant pas l’aimer autrement, nous l’aimons en vos personnes. »

Cet élan vers les pauvres, qui est aussi un élan vers le Christ, est au cœur de la Doctrine sociale de l’Eglise : l’option préférentielle pour les pauvres et la destination universelle des biens en sont les moteurs sociaux. Elles invitent les Chrétiens à se tourner prioritairement vers les plus pauvres et à leur accorder une sollicitude particulière. La Doctrine sociale de l’Eglise décrit ainsi le chemin à prendre : « De la conversation du cœur jaillit la sollicitude pour l’homme aimé comme un frère. »

A la Société de Saint-Vincent-de-Paul, beaucoup de bénévoles peuvent témoigner que la sollicitude pour les personnes aidées est aussi source d’une conversion du cœur. Beaucoup de bénévoles viennent à la SSVP pour l’action sociale, ils ont envie de « faire du bien autour d’eux »… et ils sont surpris de constater combien cette action, vécue à la fois de manière personnelle et en équipe, vivifie leur foi. 

  • Un homme de réseau

La notion de réseau, qui imprègne l’œuvre de Frédéric Ozanam, fait évidemment échos à notre temps, où cette notion est omniprésente. 

On peut partir de sa phrase la plus célèbre  « Je voudrais enserrer le monde dans un réseau de charité » et se demander comment il a réussi à construire ce réseau caritatif, qui est historiquement l’une des toutes premières ONG modernes du monde, et probablement la plus grande de son époque. 

Comment cela s’est-il passé ?

L’histoire démarre de manière assez banale : il y a 6 étudiants autour d’une table dans une petite salle à côté de l’Eglise saint Sulpice. Ils veulent agir, on l’a vu tout à l’heure, mais ne savent pas vraiment quoi faire. Alors, ils cherchent dans leur réseau qui peut les aider : ils vont voir M Bailly, qui organise les conférences d’histoire, qui les envoie chez la sœur Rosalie Rendu. Rosalie Rendu, une Fille de la Charité, est une sorte de sœur Emmanuelle qui œuvre dans le quartier Mouffetard. C’est une des grandes figures de charité parisienne du XIXème siècle. La sœur indique des personnes démunies à aider à la petite équipe. 

L’équipe s’installe dans la paroisse St Etienne du Mont, entre la rue Descartes où se trouve l’école polytechnique, l’école normale de la rue d’Ulm, et la Sorbonne. Le bouche à oreille fonctionne dans le milieu étudiant, le groupe d’amis grossit et ils sont bientôt 50 bénévoles. Le succès est tel que l’équipe est trop grande pour fonctionner de manière efficace : elle se subdivise et se développe au fil des années de manière fractale en un réseau de petites équipes d’étudiants. On pourrait ainsi presque dire que Frédéric Ozanam en mettant en relation les étudiants des grandes écoles de son époque est un précurseur de Chrétiens en Grande Ecole.

Certains étudiants partent en province : des équipes se montent à Nîmes, à Nantes, à Lyon. Des étrangers passent à Paris, voient ce qui ce que vivent ces équipes, sont enthousiasmés et l’exportent en Italie, en Ecosse, puis au Canada et au Mexique. Il se crée ainsi un réseau à travers le monde. En 1850 (17 ans seulement après sa création), la société compte 50 000 membres dans 16 pays. Aujourd’hui, on compte 800 000 bénévoles dans 142 pays. En France, il y a 1 000 équipes et 17 000 bénévoles.

Ce développement extraordinaire tient bien sûr au charisme de Frédéric Ozanam, étudiant et professeur brillant, homme de confiance, qui construit naturellement un réseau de relations amicales, sait solliciter les talents, encourager les initiatives, demander des moyens financiers, garder des liens lorsque des membres de la Société s’éloignent géographiquement.

Mais ce développement a survécu à Frédéric Ozanam, qui est mort seulement 20 ans après la création de l’association. Car au-delà de la figure de son fondateur, c’est la manière dont les équipes fonctionnent en réseau décentralisé qui assure la pérennité de son œuvre. On retrouve ici l’un des fondements organisationnels de l’Eglise : le principe de subsidiarité. Les Chrétiens s’organisent pour être présents au plus près des réalités de terrain et pour agir à la mesure de leurs moyens près de chez eux. 

Cette organisation pose cependant la question de l’unité entre les équipes, qui pourraient s’éloigner les unes des autres et dériver loin de l’esprit initial. Pour garder une cohérence, Frédéric Ozanam et ses amis ont l’idée de rédiger une charte. Chaque équipe qui entre dans l’association adhère aux fondamentaux qui y sont compilés : on y trouve les références spirituelle à Vincent de Paul,  les valeurs et les vertus qui guident les bénévoles et les fondamentaux pour s’organiser au niveau local. Ces fondamentaux se résument en 3 idées simples : agir ensemble dans son quartier, prier ensemble, réfléchir ensemble dans une ambiance d’amitié. 

En résumé, Frédéric Ozanam a inventé un cocktail à base de 3 ingrédients : la prière, les services de charité et l’amitié entre jeunes catho ! Et aujourd’hui encore, chacune de nos équipes puise dans ces 3 ingrédients pour créer un groupe d’amis, actif dans son quartier.

Frédéric Ozanam disait à propos de Vincent de Paul : « C’est une vie qu’il faut continuer, un cœur auquel il faut réchauffer son cœur, une intelligence où l’on doit chercher des lumières. »  N’hésitez pas à faire de même avec Frédéric Ozanam : à lire ses lettres, à le prier et vous en inspirer pour agir puisqu’ « on n’a pas 2 vies : l’une pour chercher la vérité, l’autre pour la pratiquer ».

La Société de Saint-Vincent-de-Paul comptent 800 000 bénévoles dans 148 pays. 

La charité de proximité est au cœur de ses actions : maraudes, visites à domicile, goûters solidaires, sorties avec des personnes handicapées, etc. Simples, discrets et durables, ces services répondent toujours à un besoin local. Ils sont indissociables de la vie de foi.

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